Culture

Histoire de vos rues : édition spéciale maternité !

Publié le 24 Nov 2022

Entre 1935 et 1961 inclus, 5875 bébés voient le jour à Garches. Certains sont sans doute nés à la maison mais une grande partie d’entre eux naissent au 10 rue de Suresnes, où Henri Garreau – maire de Garches entre 1931 et 1941 – décide d’ouvrir une maternité en 1935. M. Tinlot, l’architecte communal, réaménage l’ancienne « école enfantine » (cf. Procès-verbal d’adjudication pour « les travaux d’aménagement d’une maternité formant dix lots »).

Cette petite maternité comptait 11 lits, distribués ainsi : 3 chambres individuelles, 2 chambres doubles et un dortoir de 4 lits, dans un établissement dont l’architecture évoque plus une maison qu’un établissement hospitalier.

Pourquoi la ville de Garches prit une telle décision ? Pourquoi à cette période précisément ? Et pourquoi la maternité finit-elle par fermer ses portes ? Pour répondre à ces questions, un petit retour dans le temps s’impose : il faut se plonger dans l’histoire de la naissance en France.

L'histoire de la naissance en France

Jusqu’au milieu du XXème siècle, les femmes accouchaient en grande majorité à la maison, il fallut plusieurs mutations importantes de la société pour que la transition vers l’accouchement médicalisé s’opère.

La première mutation intervient au XVIIIème siècle. Jusqu’alors, les femmes accouchaient dans la salle commune de la maison, près de la cheminée, la pièce était calfeutrée, la parturiente était entourée de la matrone et des femmes du village présentes pour la soutenir puis l’aider dans ses tâches quotidiennes. Jusqu’au XVIIème siècle, la naissance était donc une affaire de femmes.

À partir du XVIIIème siècle, les médecins (hommes) commencent à s’intéresser à l’accouchement, ils sont d’abord appelés pour pratiquer les chirurgies lors de fausses-couches, puis, ils commencent à rédiger des traités d’obstétrique et la mode de « l’accoucheur » se répand. Il s’agit de la première mutation importante, avec l’invention de nouveaux instruments : les leviers et les forceps.

Le XIXème siècle voit également plusieurs évolutions : la formation des sages-femmes qui s’améliore dès le début du siècle ; puis, à partir de 1878, la mortalité baisse radicalement dans les hôpitaux grâce à Pasteur qui apprend les pratiques d’asepsie, d’antisepsie et de stérilisation ; et enfin l’invention de drogues anesthésiantes (peu pratiquée en France en raison d’effets secondaires dangereux).

L’État Français au XXème siècle fait évoluer les mentalités, en poussant à l’accouchement médicalisé, avec notamment des aides financières. Les grands hôpitaux se transforment en établissements modernes et plurifonctionnels. 

Mais qu’en est-il des petites maternités comme celle de Garches ?

Lors de l’ouverture de la maternité garchoise, seulement 33% des femmes françaises accouchent à l’hôpital, mais l’enfant est vu par l’état comme le « Renouveau de la Nation ». Le souhait de sécuriser les accouchements est porté par les dirigeants politiques au niveau national.

La maternité de Garches est une petite structure, cependant elle propose des soins très modernes. En 1933, le but est de proposer une alternative à l’accouchement à la maison, sans effrayer par un lieu trop grand. La maternité de Garches ressemblait donc à une maison et était à taille humaine.

L’aspect médical n’y était pas oublié : consultations des nourrissons assurées par une mutualité maternelle et préparations à l’accouchement, permettant ce que l’on appelait alors « l’accouchement sans douleur ». Le luxe de cette maternité était une installation de douches accolée, qui coûtait 1F50 (cf. extrait du Bulletin municipal n°4 de décembre 1960).

Les archives sont les témoins du déclin de la maternité : les pages de publicités dans les bulletins municipaux et les journaux locaux montrent les difficultés qu’elle finit par ressentir (cf. extraits des Bulletins municipaux n°4 et n°6 de décembre 1960 et juin 1961).

En effet, il s’agit d’une maternité municipale, dont la gestion administrative est gérée par la Croix Rouge Française (cf. Prospectus de la Croix Rouge) jusqu’en juin 1954, puis par l’Association familiale de Garches (cf. Bulletin municipal n°6 de juin 1961). Elle bénéficie du régime de la convention avec la sécurité sociale : concrètement, les femmes ne payent pas de frais, elles peuvent bénéficier de cours d’accouchement prophylactique et de visites prénatales. Malheureusement, financièrement la maternité va mal, elle bénéficie des aides de la Ville chaque année à partir de 1957. Dans le même temps, les parturientes garchoises s’en désintéressent, préférant les grandes maternités alentour. Pendant quelques années, la fermeture est reportée et les publicités – pour la rendre attractive – se multiplient. En novembre 1961, la décision du conseil municipal tombe : « Le conseil municipal décide la fermeture de la Maternité et la création d’une crèche municipale […] Cette décision, si grave soit-elle, a été mûrement réfléchie ».

L’ouverture d’une crèche, à cette période où les femmes commencent à travailler, est révélateur d’un fait de société qu’exprime bien l’article : « La structure actuelle de la société, l’évolution de la vie moderne entraînent la naissance de besoins nouveaux, tant sur le plan culturel, matériel, sanitaire et social […] Les impératifs de la vie moderne forcent la femme à travailler ».

Ainsi, l’ouverture d’une maternité en 1935 à Garches s’explique par un contexte particulier, ancré dans l’histoire de la naissance en France, mais également sa fermeture. Les archives municipales sont, comme les archives nationales ou départementales, les témoins de ces bouleversements sociaux, illustrant leurs implications à une échelle locale. La crèche municipale Henri Garreau est finalement fermée et le bâtiment détruit en 2010.

Photographies :

– « Mademoiselle Arnoult, sage-femme 1936 », photographie illustrant le livre « Nos ancêtres… les Garchois », p.38.

– « Trois nouveaux nés », photographie illustrant le livre « Nos ancêtres… les Garchois », p. 39.

– 10 rue de Suresnes, avant la démolition du bâtiment, ville de Garches.

– 10 rue de Suresnes, décembre 1996, photographie en noir et blanc, ville de Garches.

Archives communales :

– Procès-verbal d’adjudication pour les travaux de construction d’une maternité (formant 10 lots), 11/04/1932.

– Avis d’Adjudication Construction d’une maternité, Journal de Versailles, 24/03/1932.

– Extrait du registre des délibérations de la Commission Administrative du bureau de bienfaisance de la commune de Garches, 14/02/1932, concernant l’étude du projet de la maternité.

– Prospectus croix rouge, non daté.

– « Une visite à la Maternité », Bulletin municipal n°4, décembre 1960.

– « Comment fonctionne la clinique Maternité Municipale », Bulletin municipal n°6, juin 1961.

– « Le Conseil municipal décide la fermeture de la Maternité et la création d’une crèche municipale », Bulletin municipal n°8, décembre 1961.